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L'AMAZONE MEDIA

Magazine de promotion du genre au Bénin et en Afrique

MODE Dans le silence des femmes mannequins au Bénin . « Dès que tu seras ma femme, tu dois arrêter cela »

MODE 

 

 Dans le silence des femmes mannequins au Bénin

 

. « Dès que tu seras ma femme, tu dois arrêter cela »

 

Dans la chaîne de la mode, les mannequins constituent un maillon important entre les stylistes et les consommateurs. Ainsi, sous ses différents types, le mannequinat est un métier qui fait recours à des hommes et des femmes dotés de certains atouts physiques recherchés pour mettre en valeur diverses créations. Mais au Bénin, en dehors des exigences professionnelles, les femmes mannequins font face à des préjugés qui souvent découragent bon nombre d’entre elles, contraintes de faire taire leur passion pour éviter le rejet de leurs proches. Pour les plus téméraires, elles sont obligées de vivre l’enfer au milieu des acclamations des passionnés de la mode.  

 

Edouard ADODE

 

« Rêvant d’être mannequin depuis mon enfance, j’ai eu à participer à un casting organisé par l’agence de mode Windékpè à l’institut français de Parakou. Après le casting, les résultats ont été publiés sur les réseaux sociaux. Mais je n’ai pas pu continuer parce que le père de mon enfant, une autorité politique très connue n’était pas d’accord. Il m’a clairement dit qu’il ne veut pas me voir dans cette affaire, bien que nous n’étions plus ensemble puisque c’était juste une aventure entre lui et moi », témoigne sous anonymat celle que nous appelons ici Raïma. Du haut de ses 165 cm, Raïma, la trentaine environ, est une jeune dame au teint naturel africain, avec une silhouette svelte. Des atouts qui lui ouvraient facilement les portes du mannequinat. Mais, elle a préféré mettre une croix sur sa passion afin de ne pas indisposer cet homme marié dont elle a été entre temps la maîtresse. 

 

Tout comme Raïma, elles sont nombreuses ces femmes qui ont du mal à vivre leur passion ou à travailler leur talent juste parce qu’elles ont de la peine à affronter le regard de leurs proches. C’est avec regret que Rodrigue Gotovi, promoteur de l’agence de mode Windékpè se rappelle la fin de cette aventure de Raïma. Même dans les centres de formation aux métiers de la mode, des parents déconseillent le mannequinat à leurs filles. « Dans nos modules de formation, il y a le mannequinat. Mais aux heures de ce module, certaines filles ne viennent pas à cause de leurs parents qui le leur  interdisent », fait savoir Adjoua Atiogbé, Directrice d’une Ecole de Formation Professionnelle à Abomey-Calavi. « Mon père est un pasteur, il n’a jamais digéré que je sois mannequin. Je ne l’ai jamais vu assister à un défilé auquel je participe », confie Nathalie M’Pinti mannequin professionnel depuis 2008.   

 

Le mannequinat face à l’arrière-plan socio-culturel des béninois

 

« Ce métier ne met pas en valeur la femme surtout quand elle est appelée à présenter des habits qui laissent voir sa nudité », indique Benoît Adohouéto père de famille. Pour l’imam Yacoubou Alassane à Parakou, « l’islam n’accepte pas que la femme expose son corps. Tout son corps doit être couvert sauf le visage et la paume des mains. Le mannequinat c’est comme les concours de miss où la femme montre ses atouts physiques au public ». Plus loin, il précise que « la femme n’a de valeur que lorsqu’elle cache son corps ». Cet avis est bien partagé par Pierre Houézlèwèkè, pasteur d’une église évangélique à Sèmè-Kpodji, qui ajoute que le corps de la femme est sacré et ne saurait servir d’objet pour mettre en valeur des créations de stylistes. 

 

Mais pour Nathalie M’Pinti, « le mannequinat ne doit pas être vu comme un métier dépravant pour la femme puisque le mannequin ne vend pas son corps. Son corps permet plutôt de vendre les créations des stylistes. C’est pourquoi le mannequin ne sourit pas quand il défile contrairement à celles qui participent au concours de beauté ». Vivant à fond sa passion, elle n’hésite pas à défiler en tenue de vérité. « J’ai eu à porter des tenues hyper extravagantes comme des lingeries et ça ne m’a pas gêné parce que c’est une passion pour moi et je sais pourquoi je le fais », témoigne Nathalie. « Ce n’est pas trop dans notre culture », va clarifier le sociologue Didas Tossou avant d’ajouter qu’ « il s’agit d’une autre forme de publicité ». Nathalie M’pinti se désole du fait que beaucoup pensent que « c’est les personnes qui ont raté leur vie ou personnes dépravées qui s’y intéressent ».

 

Toutefois, quelques parents perçoivent le mannequinat comme tous les autres métiers et encouragent leurs enfants prédisposés à y aller. « C’est beaucoup plus ma famille qui m’a poussée à commencer puisque tout le monde disait, « weh, tu as une belle taille ». Au début je me disais que je ne peux plus aller parce que quand j’étais à l’université j’ai eu ma première grossesse et quand j’ai accouché je me disais que je ne peux plus aller. Mais ma maman disait, « non tu peux foncer » et ma petite sœur me donnait aussi des exemples de plusieurs mannequins qui sont pourtant des mères », confie Chimène Sindjaloum, mannequin professionnel depuis 2021. Mais quant à son petit ami à l’époque, il était catégoriquement contre cette passion que Chimène nourrissait en elle depuis le bas-âge. C’est après la rupture de cette relation qu’elle s’est réellement lancée. De même, elle est obligée de supporter les jugements des autres. 

 

Entre temps, Chimène Sindjaloum a essayé de mettre fin à sa carrière de mannequin puisqu’elle voyait qu’au Bénin le mannequinat est loin de nourrir son homme. Mais elle n’a pas pu tenir longtemps avant de retourner dans ce monde face à la pression de la passion qu’elle sent en elle. Tout comme elle, Nathalie M’pinti, après plus de dix ans d’expérience, se désole du fait que ce métier n’est pas valorisé au Bénin. 

 

Djamilatou Mama Salifou, consultante financière et mannequin précise que quoi qu’on dise, « le mannequinat au Bénin est vu comme un signe de bassesse et de vagabondage ». Elle a  été obligée de raccrocher pour pouvoir se mettre sous le toit d’un homme. « Ils me disent que dès que tu seras ma femme, tu dois arrêter cela », témoigne l’ex mannequin quand elle se souvient de ses relations amoureuses. Djamilatou Mama Salifou avait eu aussi à affronter les critiques de ses frères pour vivre sa passion pendant cinq années. 

 

De la nécessité d’adaptation des créations aux réalités sociales

 

« J’ai toujours été contre la copie des réalités d’ailleurs. Nous devons les adapter à notre contexte culturel », rappelle Rodrigue Gotovi membre du Conseil National des Organisations d’Artistes (Cnoa). Ces préjugés ne devraient plus exister au Bénin puisque selon Chimène Sindjaloum, « nous valorisons beaucoup plus les pagnes d’ici ». Elle encourage au respect des valeurs de la société dans la promotion pour préserver l’image des mannequins et c’est ce qui peut permettre de corriger ce que pensent les autres. « Plusieurs fois, on me propose des défilés en lingerie mais je refuse », souligne le mannequin tout en invitant ses pairs à savoir accepter quelle tenue porter.  Le promoteur culturel Rodrigue Gotovi va plus loin soulignant le distinguo entre défilés privés et ceux publics pour éviter de choquer. 

 

Le pasteur Sènan Laris Dadé pense que dans le milieu religieux « on peut même promouvoir le mannequinat sans offenser les mœurs si on sait s’y prendre ». L’homme de Dieu va plus loin en précisant que « la femme chrétienne peut bien être mannequin. Mais mannequin spécialisé c’est-à-dire elle ne sera pas comme tous les autres mannequins, elle doit pouvoir choisir minutieusement ce qu’elle doit porter ». Il propose le concept « mannequinat gospel ». Le pasteur Dadé trouve même que le mannequinat est un métier à valoriser puisqu’il complète celui des stylistes. Or, « c’est Dieu lui-même qui a été le premier styliste déjà à la création. Quand on lit dans Genèse 3 :21. Dieu a habillé Adam et Eve en peau d’animaux en lieu et place des feuilles ».  L’imam Yacoubou conseille aussi que des tenues confectionnées selon les normes de l’Islam peuvent dans certaines mesures faire objet de défilé. Il précise que ce métier est mieux aux hommes qu’aux femmes. 

 

Le sociologue invite aussi à faire la démarcation entre le mannequin et ce qu’il porte sur scène puisqu’ « au-delà de tout, c’est pour faire de la publicité ». Nathalie M’pinti plaide pour une organisation sérieuse des mannequins pour une réelle valorisation du mannequinat. Pour Djamilatou Mama Salifou, « l’habit ne fait pas le moine, dit-on, alors il faut cesser de juger les mannequins par rapport à ce qu’elles portent. Car, une femme mannequin peut bien rester dans un foyer, tout dépend de son éducation ».  

 

Face à l’explosion du secteur de la mode au Bénin, le métier de mannequin a de l’avenir, fait remarquer Rodrigue Gotovi. 

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