A LA DÉCOUVERTE DE LA GNON KOGUI Une source locale de leadership politique féminin

A LA DÉCOUVERTE DE LA GNON KOGUI

Une source locale de leadership politique féminin

La visibilité et l'efficacité du leadership politique féminin sont de plus en plus une préoccupation essentielle des organisations de la société civile, des partenaires techniques et financiers et même de nombreux acteurs de la politique au Bénin. Une préoccupation qui pousse ces derniers à identifier des stratégies à mettre en œuvre pour briser le plafond de verre pour une meilleure représentativité des femmes au sein des instances de prise de décision. Et l'une des pistes qu'ils explorent vient de la tradition des Gnon Kogui de l'aire culturelle baatonu.

Kassim MAMA 

Une femme au niveau de la haute hiérarchie du pouvoir politique traditionnel jouissant d'une indépendance vis-à-vis du souverain et venant avant tous les ministres a de quoi faire rêver les militants des droits de la femme et tout particulièrement les hommes et les femmes qui se battent pour la participation active et raisonnable des femmes aux activités des instances de prise de décision. Et pourtant, il ne s'agit pas là d'un idéal ressorti d'une théorie féministe mais de la description d'une réalité politique de la tradition de l'aire culturelle baatonu. Il s'agit de l'institution de la Gnon Kogui au sein de l'empire de Nikki, des royautés et chefferies au nord Bénin.

En effet, le génie Baatonu a réussi à mettre, dès le règne du deuxième souverain de Nikki, les hommes et les femmes au sommet de la hiérarchie du pouvoir politique pour la gestion inclusive de la cité. « Le fondateur du trône de Nikki est Simé Dobidia. Après son décès, son fils qui a régné sous le nom de Séro Baguiri l'a succédé. Mais, il s'est fait que ce dernier avait une grande sœur à qui on n'a pas autorisé la succession. C'est donc sous Séro Baguiri que la première Gnon Kogui a été installée dans le but de faire participer la grande sœur et de façon générale la femme à la gestion des affaires », explique Sinadounwirou du Palais Impérial de Nikki lors de la deuxième rencontre intergénérationnelle des femmes leaders du Bénin. À en croire le notable du Palais Impérial de Nikki, l'intronisation de la grande sœur du deuxième souverain de Nikki en qualité de Gnon Kogui est une prise de conscience de la nécessité de la participation des femmes à la gestion des affaires publiques au même titre que les hommes. 

En plus, la Gnon Kogui dans l'aire culturelle Batonu n'est pas un titre honorifique. La détentrice de ce titre est selon Mariam Chabi Talata, Vice-Présidente du Bénin et qui se bat depuis quelques années pour la visibilité de la Gnon Kogui au-delà des frontières de l'empire de Nikki, est une femme qui a d'immenses pouvoir au sein de la société. « En dehors de l'empereur, elle est la seule personnalité de Nikki qui a la prérogative de célébrer sa Gaani. Son pouvoir est au-dessus de celui des autres ministres. Elle est indépendante vis-à-vis de l'empereur. C'est donc fabuleux que notre société ait pensé à une institution comme celle-là !», explique-t-elle. Elle ajoute que la grandeur du pouvoir de la Gnon Kogui se déduise même des critères d'éligibilité à la fonction. Elle affirme, « ils sont les mêmes que ceux de l'empereur. Il faut avoir la pleine possession de ses capacités mentales et physiques, avoir un ascendant qui a une fois occupé le poste et avoir été éduqué dans le giron du pouvoir ». 

Allant dans le même sens, le sociologue Victor Dangnon Michel estime que le rôle de la Gnon Kogui dans la société va au-delà du rôle diffus de la femme dans la société. Selon lui, elle n'est pas un simple soutien ou une conseillère derrière le rideau des hommes qui décident de l'avenir de la cité. Le rôle de la Gnon Kogui est institutionnel. « Elle est détentrice des rasoirs sacrés et décide en conséquence de l'avenir politique des princes par le rite de rasage. Avant d'être empereur, il faut d'abord avoir l'onction de la Gnon Kogui par le rite de rasage. C'est aussi elle qui est chargée de prénommer les Wassangari, c'est-à-dire les princes, et à ce titre, elle est le chef de l'état civil de l'empire », soutient-il.

Ainsi, l'institution de la Gnon Kogui dans l'aire culturelle Baatonu est un bel exemple du leadership politique féminin dont les origines se retrouvent dans la tradition et peut être un modèle de construction du leadership politique des femmes dans une société moderne.

Tisser la nouvelle corde au bout de l'ancienne 

 La Vice-Présidente du Bénin et initiatrice des rencontres internationales des femmes leaders du Bénin, Mariam Chabi Talata, pense et croit dure comme fer que l'exemple de la Gnon Kogui est un bel exemple qui peut inspirer les décideurs actuels pour une meilleure visibilité et une meilleure efficacité du leadership politique des femmes. « Quand j'ai commencé à m'intéresser au rôle de la Gnon Kogui au sein de l'empire de Nikki ; j'ai été sidérée. Et je me suis dit voilà qui peut servir de modèle pour le pouvoir politique moderne. Les partenaires techniques et financiers qui ont compris qu'il faut mettre les femmes aux côtés des hommes pour le développement des nations et qu'ils n'arrivent pas encore à trouver des stratégies efficaces pour faire accepter et rendre effective leur vision peuvent également partir de cet exemple », confie-t-elle.

 Pour Mèmounatou Kadiri épouse Garba, présidente du consortium Baani qui met en exécution le Programme d'Appui à l'Égalité de Genre (Paeg) qui est une école de formation politique des femmes des quatre départements du nord Bénin, ce qui rend géniale l'institution de la Gnon Kogui en ce qui concerne le leadership politique des femmes, c'est la définition et l'application des principes où il y a l'existence des postes exclusifs pour des femmes comme c'est actuellement le cas avec le code électoral qui a servi l'installation de la neuvième législature. Elle confie, « Le respect de la tradition à travers l'application de ce qui a été défini depuis des siècles est une très bonne leçon à retenir » avant de conclure « je pense que cette gestion du pouvoir politique par l'homme (Sinaboko) et la femme (Gnon Kogui) est un bon exemple de respect des droits de la femme. Ceci est rendu possible grâce à la définition des rôles spécifiques de chacun à l'établissement des règles et critères de désignation clairs ».